Droit à la preuve : recevabilité d'une preuve issue d'un système illicite de vidéosurveillance. Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste. (2024)

Par un arrêt du 14 février 2024 (n°22-23.073), la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la recevabilité d’une preuve issue d’un système illicite de vidéosurveillance qui a produit des données personnelles sur une salariée.
Sur le fondement de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 9 du Code de procédure civile, la Cour de cassation a dit recevable le moyen de preuve obtenu de manière illicite, à la suite d’un contrôle de proportionnalité.

I. Faits et procédure.

Une salariée engagée en qualité de caissière le 7 janvier 2003 a été licenciée pour faute grave par lettre du 19 juillet 2016.

Elle a saisi la juridiction prud’homale afin de contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes à titre d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par un arrêt du 13 septembre 2022, la chambre d’appel de Mamoudzou de Saint-Denis de La Réunion, n’a pas fait droit aux demandes de la salariée.

C’est pourquoi la salariée se pourvoit en cassation sur le fondement de l’article 32 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, selon lequel

«La personne auprès de laquelle sont recueillies des données à caractère personnel la concernant est informée, sauf si elle l’a été au préalable, par le responsable du traitement ou son représentant:
1° De l’identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de celle de son représentant;
2° De la finalité poursuivie par le traitement auquel les données sont destinées;
3° Du caractère obligatoire ou facultatif des réponses;
4° Des conséquences éventuelles, à son égard, d’un défaut de réponse;
5° Des destinataires ou catégories de destinataires des données;
6° Des droits qu’elle tient des dispositions de la section 2 du présent chapitre dont celui de définir des directives relatives au sort de ses données à caractère personnel après sa mort;
7° Le cas échéant, des transferts de données à caractère personnel envisagés à destination d’un État non-membre de la Communauté européenne;
8° De la durée de conservation des catégories de données traitées ou, en cas d’impossibilité, des critères utilisés permettant de déterminer cette durée
».

II. Moyens.

La salariée fait grief à l’arrêt de constater que son licenciement a été valablement prononcé.

Dans un premier temps, la salariée rappelle que l’employeur doit informer les salariés et consulter les représentants du personnel de tout dispositif de contrôle de l’activité des salariés, quand bien même à l’origine, ce dispositif n’aurait pas été exclusivement destiné à opérer un tel contrôle. À défaut, les preuves obtenues par le biais de ce dispositif sont illicites.

Or, selon l’appelante, son employeur ne pouvait pas s’affranchir de l’information/consultation des représentants du personnel et d’une information individuelle et détaillée des salariés, lorsqu’il résultait de ses propres constatations que le système de vidéosurveillance destiné à la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise, permettait également de contrôler et de surveiller l’activité des salariés et avait été effectivement utilisé par l’employeur afin de recueillir et d’exploiter des informations la concernant personnellement.

Dans un second temps, la salariée qui souligne que l’employeur ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance des salariés, soutient à cet égard que la note de service du 27 novembre 2015 signée par les salariés qui se bornait à indiquer l’existence d’un système de vidéosurveillance pour la sécurité et la prévention des atteintes aux biens et aux personnes, ne fournissait pas aux salariés une information suffisante conformément à l’article 32 de la loi du 6 janvier 1978 cité ci-dessus.

Enfin, la salariée considère que la cour d’appel, en affirmant que la production, néanmoins illicite, des bandes vidéo, était indispensable à l’exercice du droit de la preuve alors que la matérialité des faits lui ayant été reprochés auraient pu être rapportés par d’autres moyens, a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatifs au droit à la vie privée et au procès équitable.

III. Solution.

La production par un employeur, de données personnelles sur un salarié issues d’un système illicite de vidéosurveillance constitue-t-elle un moyen de preuve recevable?

La Cour de cassation répond par la positive, sur le fondement des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du Code de procédure civile, selon lesquels, dans un procès civil, l’illicéité dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.

En effet, la Cour de cassation retient que la cour d’appel a bien mis en balance le droit à la preuve de l’employeur et le droit à la vie privée de la salariée pour apprécier si la production de données personnelles issues d’un système illicite de vidéosurveillance portait atteinte de manière proportionnée ou non, au caractère équitable de la procédure.

À cet égard, la Cour de cassation rappelle le raisonnement à suivre lorsque le juge se confronte à l’existence d’une preuve illicite:

Premièrement, il doit d’abord s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur et vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci.

Deuxièmement, je juge doit rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié.

Troisièmement et dernièrement, le juge doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

A la suite de l’application de ce raisonnement, la cour d’appel a pu retenir que le visionnage des enregistrements avait été limité dans le temps, dans un contexte de disparition de stocks, après des premières recherches restées infructueuses et avait été réalisé par la seule dirigeante de l’entreprise.

C’est pourquoi la Cour de cassation considère que la cour d’appel a mis en balance de manière circonstanciée, le droit de la salariée au respect de sa vie privée et le droit de son employeur au bon fonctionnement de l’entreprise, en déduisant notamment que la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionné au but poursuivi.

Les pièces litigieuses étant donc recevables, la Cour de cassation rejette les pourvois.

Il s’agit d’une décision évidemment favorable à l’employeur, qui concrétise surtout le revirement de jurisprudence opéré plus tôt par la Cour de cassation par un arrêt du 1ᵉʳ février 2023, qui assouplit le régime de la recevabilité des preuves illicites en matière de droit privé et plus particulièrement, en matière de droit social.

Source:
Cour de cassation 14 février 2024, pourvoi n°22-23.073

Droit à la preuve : recevabilité d'une preuve issue d'un système illicite de vidéosurveillance. Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bouschbacher, Juriste. (2024)

FAQs

Est-ce que la vidéosurveillance est une preuve ? ›

Par principe, si le système de vidéosurveillance a été mis en place dans le respect des règles, les enregistrements obtenus par les caméras constituent des preuves qui sont acceptées par le conseil de prud'hommes dans le cadre d'un contentieux prud'homal (par exemple, lorsque l'employeur veut prouver la faute d'un ...

Comment l'employeur Peut-il utiliser les preuves obtenues par vidéosurveillance pour justifier le licenciement pour faute lourde ? ›

1. La Cour de cassation vient de rappeler que l'employeur ne peut pas utiliser comme moyen de preuve un dispositif de vidéosurveillance contrôlant le personnel s'il n'a pas été soumis à l'information préalable des salariés et à la consultation des représentants du personnel (Cass. soc. 10 novembre 2021, n° 20-12263).

Pourquoi une preuve est irrecevable ? ›

En somme, au regard du droit à la preuve : « Est déclaré recevable une preuve illicite lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s'en prévaut et que l'atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi » [3].

Est-ce qu'une vidéo peut servir de preuve ? ›

Ainsi, l'utilisation d'enregistrements vidéo à l'insu d'une personne n'est utilisable comme moyen de preuve que pour élucider des “crimes”, à l'exclusion de “délits” et de “contraventions”.

Quelle est la différence entre la vidéo surveillance et la vidéoprotection ? ›

Les dispositifs de vidéoprotection filment la voie publique et les lieux ouverts au public : rue, gare, centre commercial, zone marchande, piscine etc. Les dispositifs de vidéosurveillance filment les lieux non ouverts au public : réserve d'un magasin, entrepôts, copropriété fermée etc.

Quelles sont les limites du pouvoir de surveillance de l'employeur ? ›

Un employeur ne peut pas librement consulter les courriels privés de ses salariés, et ce, même s'il a interdit d'utiliser les outils de l'entreprise à des fins personnelles. Toutefois, pour qu'ils soient protégés, les messages personnels doivent être identifiés comme tels.

Qui doit apporter la preuve en droit ? ›

Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Quels sont les risques de la vidéosurveillance ? ›

Risque de surveillance excessive

L'omniprésence des caméras de vidéosurveillance peut conduire à une surveillance excessive des individus. Cela peut donner lieu à une surveillance constante et intrusive, limitant ainsi la liberté individuelle et la possibilité de se déplacer librement dans les espaces publics.

Qu'est-ce qu'une preuve illicite ? ›

Une preuve est dite illicite lorsqu'elle a été obtenue en violation de moyens légaux.

Est-ce qu'une photo est une preuve juridique ? ›

Lorsque vous voulez prouver un fait, une situation, vous pouvez apporter la preuve par tout moyen (SMS, courriers électroniques, captures d'écran, photographies...).

Quels sont les 5 modes de preuve ? ›

  • Section 1 : La preuve par écrit (Articles 1363 à 1380) ...
  • Section 2 : La preuve par témoins (Article 1381) ...
  • Replier Section 3 : La preuve par présomption judiciaire (Article 1382) ...
  • Replier Section 4 : L'aveu (Articles 1383 à 1383-2) ...
  • Section 5 : Le serment (Articles 1384 à 1386-1)

Quand Peut-on filmer quelqu'un sans son autorisation ? ›

Dans le cas d'une image prise dans un lieu privé, votre autorisation est nécessaire si vous êtes reconnaissable : vacances, événement familial, manifestation sportive, culturelle... Dans le cas d'une image prise dans un lieu public, votre autorisation est nécessaire si vous êtes isolé et reconnaissable.

Comment porter plainte pour caméra de surveillance ? ›

Vous pouvez envoyer un courrier de mise en demeure au voisin l'incitant à enlever son système, sous menace de poursuites. Vous pouvez saisir la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL) d'une plainte si vous estimez être victime d'une atteinte à votre vie privée.

Quel est la réglementation concernant une caméra de surveillance ? ›

Le décret du 27 novembre 2023 prévoit que les caméras composant le dispositif de vidéoprotection doivent être déconnectées des caméras installées à l'intérieur du lieu ouvert au public pour que le responsable ou ses subordonnés ne puissent avoir accès aux images enregistrées les caméras extérieures (article R. 251-1).

Qui a le droit de visionner les caméras de surveillance ? ›

Seules les personnes habilitées et mentionnées dans l'autorisation préfectorale peuvent, dans le cadre de leurs fonctions, visionner les images de vidéoprotection. Ces personnes doivent être particulièrement formées et sensibilisées aux règles de mises en oeuvre d'un système de vidéoprotection.

Top Articles
Latest Posts
Article information

Author: Terence Hammes MD

Last Updated:

Views: 6088

Rating: 4.9 / 5 (69 voted)

Reviews: 84% of readers found this page helpful

Author information

Name: Terence Hammes MD

Birthday: 1992-04-11

Address: Suite 408 9446 Mercy Mews, West Roxie, CT 04904

Phone: +50312511349175

Job: Product Consulting Liaison

Hobby: Jogging, Motor sports, Nordic skating, Jigsaw puzzles, Bird watching, Nordic skating, Sculpting

Introduction: My name is Terence Hammes MD, I am a inexpensive, energetic, jolly, faithful, cheerful, proud, rich person who loves writing and wants to share my knowledge and understanding with you.